mercredi 27 janvier 2016

Passing Through













Cette chanson engagée de Richard (Dick) Cleveland Blakeslee, d’abord chantée par Pete Seeger, et par The Highwaymen (Johnny Cash, Waylon Jennings, Willie Nelson, et Kris Kristofferson), fait partie des rares chansons du répertoire de Léonard Cohen dont il n’est pas l’auteur. Cette chanson fut publiée dans un recueil présenté par The Weavers (le groupe auquel appartenait Pete Seeger), qui contribua à l’attirance de Léonard Cohen pour la chanson. Telle que chantée par Léonard Cohen, cette chanson comporte quelques détails intéressants, qui n’apparaissent pas sur toutes les versions antérieures.
L’expression « raise a little Cain » est souvent orthographiée « raise a little cane », ce qui préserve la rime mais masque son sens véritable (provoquer l’outrage, semer des graines de discorde, faire germer le désordre, engendrer le malheur). L’évocation biblique est en effet évidente, puisque le locuteur s’adresse au premier homme dont le fils Caïn sera le premier meurtrier. Après le péché originel, la bévue…
De même, la phrase prêtée à Franklin Roosevelt à propos d’un monde nouveau devant naître de la deuxième guerre mondiale est assortie d’une remarque « Ah, the fool! » (« Oh, le fou ! »). Le « nouvel ordre mondial » qui prévalut à l’issue de cette guerre n’était sans doute pas ce qu’espérait le président Roosevelt, et les événements actuels ne sont pas plus rassurants.
C’est donc un certain scepticisme qui vient nuancer l’idée générale de cette chanson : Nous ne faisons que passer, c’est certain, mais c’est cela même qui fait toute la valeur de la vie… car les grandes idées, les grands idéaux, les grandes idéologies, servis par les fanatiques de tous bords, ne font souvent qu’abréger le passage !
 
ALN



Que Passer

J’ai vu Jésus sur la croix, sur la colline du Calvaire
« Hais-tu le genre humain pour ce qu’il t’a fait ? »
« Parle d’amour, non de haine
De mission, de fin prochaine
J’ai si peu de temps et je ne fais que passer »

« Que passer, que passer
Parfois triste et parfois gai
Heureux de t’avoir rencontré »
Dit-il ; « Dis aux gens que tu m’as vu passer »

J’ai vu Adam quitter l’Éden, une pomme dans sa main
J’ai dit « Que f’ras-tu maintenant que tu est chassé ? »
« Prier, cultiver un lopin,
Peut-être él’ver un p’tit Caïn
Je suis orphelin et je ne fais que passer »

« Que passer, que passer… »

J’ai dit à Washington à Valley-Forge, frissonnant sous la neige,
« Comment les hommes peuvent-ils tant souffrir sans renoncer ? »
« Les hommes souffrent, les hommes luttent,
Meurent même pour ce qui est juste
Alors même qu’ils savent qu’ils ne font que passer »

« Que passer, que passer… »

J’étais avec Franklin Roosevelt, le soir avant son décès
Il dit « Un monde doit sortir de cette guerre » (l’insensé !)
« Blanc ou noir, russe ou ricain,
Un humain est un humain
Sur la même route, nous ne faisons que passer »

« Que passer, que passer… »
(Encore une fois)
« Que passer, que passer… »

(Traduction – Adaptation : Polyphrène)



mardi 19 janvier 2016

Sisters of Mercy







Parmi les premières et plus célèbres chansons de Léonard Cohen, « Sisters of Mercy » a été adaptée et chantée en français, avec un immense succès, sous le titre de « Les sœurs de la miséricorde » par Graeme Allwright, qui a bien respecté le mystère de la rencontre évoquée par Léonard Cohen. Le titre reprend, comme un nom commun, la désignation d’un ordre religieux féminin catholique (largement représenté au Canada), et les allusions religieuses (péché, sainteté, confession…) parsèment ce texte comme celui de nombreuses chansons de Léonard Cohen qui, une fois de plus, mêle sensualité (voir érotisme) et spiritualité. Néanmoins, si certaines images (la rosée…) peuvent faire penser à une relation sexuelle, la dernière ligne semble la démentir. Il faut donc se tourner vers l’auteur lui-même et relire ses commentaires pour mettre un nom sur les jeunes femmes à qui est dédiée cette chanson, et connaître les circonstances de sa rédaction : C’était à Edmonton, en Alberta (Canada), en 1967. Lorraine et Barbara, d’abord rencontrées à l’aéroport, puis croisées à nouveau alors qu’elles s’abritaient sous un porche pendant une tempête de neige, passèrent la nuit dans la chambre d’hôtel de Léonard qui, durant leur sommeil, eut l’inspiration de cette chanson (dont il travaillait déjà la mélodie), de sorte qu’il put, à leur réveil, la leur chanter. Sur ce qui a pu se passer entre temps, les interprétations sont très diverses (certains pensant que les jeunes femmes de la chanson ne sont pas des nonnes mais des prostituées) et Léonard lui-même préserve le doute. Il avait alors une trentaine d’années et décrit ces jeunes femmes comme très séduisantes et agréables… Ce n’est cependant pas (ou pas seulement) le réconfort physique qu’il retient de cette rencontre, mais le simple bonheur qu’une présence affectueuse apporte à celui que la vie malmène ou dont l’âme est souillée par les marécages qu’il traverse. Que « l’amour du prochain » se manifeste par des pensées, des mots, ou des gestes, n’est donc pas pour lui ce qui compte le plus. L’essentiel est ce lien vivace et gracieux qu’établit l’amour entre les êtres, et par lequel passe la sève de la vie.
ALN


Les Sœurs de la Pitié

Les sœurs de la pitié ne sont parties ni décédées
Quand je pensais ne plus pouvoir avancer, elles m’attendaient
Elles m’ont réconforté puis m’ont apporté cette chanson
Je te souhaite de les rencontrer, ton voyage est si long

Oui, toi qui dois quitter tout ce que tu ne peux contrôler
C’est d’abord ta famille, puis ton âme que tu sens t’échapper
Je suis passé par là et je sais comment tu es piégé
Quand tu n’te sens pas sacré ta solitude dit ton péché

A elles, allongées près de moi, je me suis confessé
Elles ont touché mes yeux, moi la rosée à leur ourlet
Si ta vie est une feuille qu’arrachent et condamnent les saisons
D’amour vert et gracieux comme une tige, elles t’attacheront

A mon départ, elles dormaient. J’espère qu’elles seront tes hôtesses
N’allume pas les phares ; la lune éclairera leur adresse
Et je ne serais pas jaloux si j’apprends qu’elles adoucissent tes nuits
Nous n’étions pas amants comme ça et c’est aussi bien ainsi
Nous n’étions pas amants comme ça et c’est aussi bien ainsi


(Traduction – Adaptation : Polyphrène)

vendredi 1 janvier 2016

Tonight Will Be Fine

Sometimes I find I get to thinking of the past.
We swore to each other then that our love would surely last.
You kept right on loving, I went on a fast,
now I am too thin and your love is too vast.

But I know from your eyes
and I know from your smile
that tonight will be fine,
will be fine, will be fine, will be fine
for a while.

I choose the rooms that I live in with care,
the windows are small and the walls almost bare,
there's only one bed and there's only one prayer;
I listen all night for your step on the stair.

But I know from your eyes
and I know from your smile
that tonight will be fine,
will be fine, will be fine, will be fine
for a while.

Oh sometimes I see her undressing for me,
she's the soft naked lady love meant her to be
and she's moving her body so brave and so free.
If I've got to remember that's a fine memory.

And I know from her eyes
and I know from her smile
that tonight will be fine,
will be fine, will be fine, will be fine
for a while.




« Tonight will be fine » figure parmi les plus belles chansons de Léonard Cohen adaptées en français par Graeme Allwright sous le titre de « Demain sera bien ». Si un mélange subtil d’érotisme et de mysticisme constitue une signature poétique de Léonard Cohen, la version de Graeme Allwright fait plus de place au versant mystique que l’original, et confère à l’alcôve l’aspect d’une cellule monacale. C’est n’est cependant pas un quelconque « lendemain » qu’évoque Léonard Cohen, mais le soir, et ce n’est pas la lumière qu’il attend chaque soir, mais la venue de la femme dont les yeux et le sourire lui promettent une nuit d’amour… Et c’est bien d’amour – physique – qu’il s’agit, mais d’un amour passé, dont le souvenir est un refuge. Un souvenir amer, sans doute teinté du regret de n’avoir pas pu ou su le conserver, et de la notion, discrètement rappelée à la fin de chaque refrain, que « plaisir d’amour ne dure qu’un moment »…


Ce soir sera grand

Je me surprends parfois à penser au passé
Quand nous nous étions juré que notre amour durerait
Tu as continué d’aimer, je me suis mis à jeuner
Je suis trop maigre et ton amour trop vaste désormais

A ton sourire, j’apprends
A tes yeux, je comprends
Que ce soir sera grand
Sera grand, sera grand, sera grand
Pour un temps

Je choisis soigneusement les pièces ou je vis
De petites fenêtres, des murs dégarnis
Il n’y a qu’un seul lit et qu’un vœu à prier
J’attends tous les soirs tes pas dans l’escalier

A ton sourire, j’apprends
A tes yeux, je comprends
Que ce soir sera grand
Sera grand, sera grand, sera grand
Pour un temps

Parfois, je la vois pour moi se mettre nue
Elle est la douce dame que l’amour a voulu
Et elle bouge son corps si libre et audacieux
C’est un beau souvenir à garder si je peux

A ton sourire, j’apprends
A tes yeux, je comprends
Que ce soir sera grand
Sera grand, sera grand, sera grand
Pour un temps



PS : En 1970, notamment lors du concert sur l’île de Wight, Léonard Cohen a chanté les deux strophes supplémentaires suivantes :

 

I’ve looked into the mirrors in numberless places;
They all smile back at me with their troublesome faces.
In the cards that they dealt me there weren’t any aces,
And the horses never listened to me at the races

There are still one or two of us walking the streets,
No arrows of direction painted under our feet,
No angels to warn us away from the heat,
And no honey to keep us where it is sweet.



J’ai regardé dans les miroirs en d’innombrables lieux
Tous me renvoient un sourire de leur visage troublant
Aucun as dans les cartes qu’ils me distribuent
Et, aux courses, les chevaux ne m’ont jamais écouté

Il y a toujours un ou deux d’entre nous qui arpentent les rues
Pas de flèches directrices peintes sous nos pieds
Par d’anges pour nous mettre en garde contre la chaleur
Et pas de miel pour nous retenir où il fait doux

(Traduction – Adaptation : Polyphrène)