I left so much behind
My patience and my family
My masterpiece unsigned
I thought I'd be rewarded
For such a lonely choice
And surely she would answer
To such a very hopeless voice
I practiced all my sainthood
I gave to one and all
But the rumours of my virtue
They moved her not at all
I changed my style to silver
I changed my clothed to black
And where I would surrender
Now I would attack
I stormed the old casino
For the money and the flesh
And I myself decided
What was rotten and what was fresh
And men to do my bidding
And broken bones to teach
The value of my pardon
The shadow of my reach
But no, I could not touch her
With such a heavy hand
Her star beyond my order
Her nakedness unmanned
I came so far for beauty
I left so much behind
My patience and my family
My masterpiece unsigned
La beauté est une déclinaison de l’infini dans la pensée humaine.
Inaccessible comme l’horizon, elle fascine et attire, mais ni la force ni la
raison ne peuvent se l’approprier. Elle peut être un don comme elle peut être
un fardeau ; elle peut être un leurre comme elle peut dire la
vérité ; elle peut être un bien comme elle peut dissimuler le mal.
La beauté nous donne envie de vivre, mais nous maintient, bien souvent,
dans une éternelle frustration.
Pourtant, la beauté n’est pas la perfection, et les chemins de la beauté ne
sont pas ceux de la raison. La sainteté n’en ouvre pas l’accès, pas plus que la
puissance ne permet de la dominer.
Léonard Cohen en témoigne dans cette chanson empreinte d’amertume autant
que de lucidité, décrivant au passage toutes les hypocrisies, folies et
tromperies des hommes qui voudraient paraître meilleurs pour mieux servir leur
ambition et leur vanité :
Se faire admirer faute de pouvoir se faire aimer.
Se faire craindre faute de pouvoir se faire admirer.
Il évoque ainsi ceux qui font Dieu à leur image et s’en attribuent ensuite
les qualités et les pouvoirs. Il raille la fausse modestie des emblèmes,
l’hypocrisie d’une imitation de Jésus chassant les marchands du temple, et l’inanité
des sentiments contraints. Il démontre l’absurdité de la vision
anthropomorphique d’un dieu orgueilleux et cynique qui exige de ses créatures
de l’adorer, les soumets aux pires fléaux, les menace et les punit pour leur
faire implorer son pardon et le faire passer pour de la bonté.
Mais la beauté, quant à elle, reste inaccessible.
Comme une planète lointaine sur laquelle « la main de l’homme ne
mettra jamais le pied » (pour paraphraser Claude Farrère), comme un drone
ou une fusée sans pilote (Léonard Cohen joue sur les différents sens de « unmanned »), la beauté se passe
très bien de nous et des hommes en général, peut-être, précisément, parce qu’elle
n’existe que dans leur esprit.
J’ai Poursuivi la Beauté
J’ai poursuivi la beauté
J’ai tant abandonné
Ma patience et mon foyer
Mon chef-d’œuvre non signé
J’espérai sa récompense
Pour ce choix solitaire
Et surement sa réponse
A une telle voix qui désespère
Exerçant ma sainteté
J’ai fait la charité
Ma vertu et sa renommée
Ne l’ont pas même touchée
J’ai laissé l’or pour l’argent
Et je m’habille en noir
Où j’aurais dit « Je me rends »
J’attaque par devoir
J’ai chassé du casino
Marchands d’argent et de chair
Et j’ai moi-même décidé
De ce qui est pourri ou vert
Exigé l’obéissance
Frappé pour qu’on se dise
La valeur de ma clémence
L’ombre de mon emprise
Mais je n’ai pu la toucher
Malgré ma main si forte
Son étoile hors de portée
Sa nudité sans pilote
J’ai poursuivi la beauté
J’ai tant abandonné
Ma patience et mon foyer
Mon chef-d’œuvre non signé
(Traduction – Adaptation : Polyphrène)