Léonard Cohen met ici en chanson
une relation triangulaire (ou trinitaire,
dit-il en dérision), comme
dans « Famous
Blue Raincoat » ou « Why Don’t You
Try ? ». Cependant, les choses ne sont probablement pas si simples qu’il n’y paraît. Certes, on reconnaît la
femme, l’amant, et son rival, et l’on entend évoquer maladie, trahison, domination,
puis trahison encore, mais le véritable maître n’est peut-être pas celui qu’on
croît, ou ce n’est pas vraiment le maître, ou pas vraiment l’amant…
L’ambivalence des sentiments, comme l’inéluctable souffrance et l’inexplicable
attirance sont les ingrédients usuels de ces relations mouvantes que décrit Léonard Cohen, qui semble en parler
d’expérience.
La Chanson du Maître
Tu as entendu ton
maître chanter
Quand j’étais alité
Et je suppose qu’il
t’a tout raconté
De ce que, dans ma
tête, j’abritais
Ton maître t’a fait
voyager
C’est, du moins, ce
que tu disais
Viens-tu,
maintenant, apporter
Pain et vin à ton
prisonnier ?
Dans un temple, tu
l’as rencontré
Où l’on se dévêt à
l’entrée
Rien qu’un homme
sans nombre sur un canapé
De la guerre à
peine rentré
De tes cheveux, tu
couvres son visage lassé
Il te tend la pomme
consommée
Puis il touche tes
lèvres soudain dépouillées
De tous les baisers
dont nous les avions parées
Il t’offrit un berger
allemand pour marcher
Des clous sur le
cuir de son collier
Et il ne t’a jamais
laissée expliquer
Les petits détails
et révéler
Lequel a un mot, le
quel a un rocher
Ni qui te tient par
courrier
Ton amour est un
secret dans tout le quartier
Et se maintient
même si ton maître vient à échouer
Et, sur son avion,
il t’a emmenée
Qu’il pilotait sans
aucune main
Volant plus haut
que la pluie qui chassait
La foule sur les
gradins
Baissait les phares
sur une route isolée
Singe aux glandes
d’ange, enfin
Les dernières
douleurs effaçait
En imitant un
musicien
Et j’entends ton
maître chanter
A genoux, tu
l’attends
Son corps est un
anneau doré
Son corps est un
anneau doré
Sous lequel ton
corps se suspend
Mon corps
s’engourdissant
Tu entends ton
maître chanter
Ton chemisier
s’ouvrant
T’agenouilleras-tu
à ce lit
Que jadis nous
avons poli
Avant que ton
maître ait choisi
De faire de neige
mon lit ?
Tes yeux sont fous
et tes phalanges rougies
Ta voix n’est qu’un
chuchotis
Non, je ne sais pas
ce que ton maître a dit
Lorsqu’il t’éconduisit
Et je trouve ton
jeu un peu forcé
Toi, dame à qui la
lune fut offerte
J’ai eu le temps de
m’habituer
A ce que ma chambre
soit déserte
Ton amour est le
crachin d’un vieux toussant
En battant, de son
pied, le tempo
Tes cuisses sont en
ruine ; tu en veux tant
Disons que tu
reviens un peu tôt
J’aimais ton maître
parfaitement
Je lui ai tout
enseigné
Dans un grand
mystère, il mourait de faim
Comme un homme sûr
de ce qui est vrai
Je t’ai envoyée
vers lui en promettant
De lui apprendre du
nouveau et
Ainsi, je lui ai
enseigné comment
Quoi qu’il dise,
quoi que tu fasses, je te manquerais
Tu as entendu ton
maître chanter
Quand j’étais alité
Et je suppose qu’il
t’a tout raconté
De ce que, dans ma
tête, j’abritais
Ton maître t’a fait
voyager
C’est, du moins, ce
que tu disais
Viens-tu,
maintenant, apporter
Pain et vin à ton
prisonnier ?
(Traduction –
Adaptation : Polyphrène)