I fought against the bottle,
But I had to do it drunk -
Took my diamond to the pawnshop -
But that don't make it junk.
I know that I'm forgiven,
But I don't know how I know
I don't trust my inner feelings -
Inner feelings come and go.
How come you called me here tonight?
How come you bother
With my heart at all?
You raise me up in grace,
Then you put me in a place,
Where I must fall.
Too late to mix another drink
The lights are going out
I'll just listen to the darkness sing
I know what that's about.
I tried to love you my way,
But I couldn't make it hold.
So I closed the Book of Longing
And I do what I am told.
How come you called me here tonight?
How come you bother with my heart at all?
You raise me up in grace,
Then you put me in a place,
Where I must fall.
I fought against the bottle,
But I had to do it drunk -
Took my diamond to the pawnshop -
But that don't make it junk.
Leonard Cohen, a sa manière, évoque l’une des questions essentielles (sinon
l’un des principaux mystères) de la vie. Que l’être humain soit capable du
meilleur comme du pire a été maintes fois démontré. Que le “bien” qu’un homme
peut faire au cours de sa vie soit l’image de son “être profond” (“l’homme
intrinsèquement bon”) ou la réalisation d’un “plan” divin est une question
largement débattue, et qui nous confronte aux paradoxes et contradictions des
religions. Sans trancher le débat, Léonard Cohen projette sur le sujet une lumière
crue : « Inner feelings come and go ». Nos sentiments
« profonds », impressions, perceptions et intuitions, sont, quoi
qu’on puisse en dire, superficiels et changeants. Dans une interview, il va
plus loin et précise : « De nos jours, la sagesse populaire prétend que l’on doit rester fidèle à ses sentiments les plus profonds, comme s’il y avait d’un côté un « moi » mineur et contingent, et de l’autre un « moi » authentique. Mon expérience personnelle m’apprend que ces prétendus sentiments profonds, auxquels nous nous imaginons être fidèles, sont tout aussi fluctuants que les sentiments dits superficiels. En fait, toutes nos idées sont superficielles ».
En un sens, cela se comprend : notre cerveau dispose d’informations
incomplètes et limitées sur notre environnement et son évolution. Devant
prendre des décisions d’action ou réaction, il procède à des déductions et
extrapolations plus ou moins rigoureuses, en se fondant sur le bilan des
expériences passées, pour imaginer et prévoir. L’ensemble de ces expériences et
leurs interprétations, teintées du « ressenti » résultant de la
charge affective positive ou négative qui leur a été attribuée, constitue un
« fatras » dont la complexité croît au cours de la vie, de sorte
qu’il est difficile (même avec l’aide d’un psychologue) de démêler l’écheveau
et remonter à la source. Dans la vie courante, c’est donc sur la résultante de
ces multiples souvenirs, affects, déductions et suppositions enchevêtrées que
nous devons nous fonder pour agir ou réagir à notre environnement.
Parfois, cependant, à la faveur d’un souvenir particulier, nous avons l’impression
d’entrevoir – ou de percevoir – de façon souvent partielle et fugitive, “les
profondeurs de notre âme”. Par la résonance de ce pouvoir évocateur,
resurgissent ainsi des idées, des impressions et des sentiments depuis
longtemps enfouis, et nous avons alors la surprise de constater (ou “dérouler”)
le lien qui les rattache à nos perceptions actuelles. Ce n’est pas vraiment
l’effet qui évoque la cause ; c’est la guirlande des souvenirs enchaînés les
uns aux autres qui s’illumine tout à coup et en retrace le parcours.
Néanmoins, ce que l’on aperçoit ainsi dans un bref éclair n’est qu’un
aspect de la réalité. Une seule perspective, si unique soit-elle, ne permet pas
d’appréhender le relief, et la complexité des mécanismes intimes qui
sous-tendent nos sentiments est telle que nous n’en pouvons entrevoir que la
surface, dont la couleur et l’aspect changent avec l’éclairage.
Que nos idées et sentiments soient, ainsi, « superficiels » ne
signifie pas pour autant que nous puissions changer fondamentalement aussi
facilement. Cela veut dire simplement que nos perceptions et nos sentiments,
comme notre comportement, sont le résultat d’interactions si complexes que nous
ne pouvons généralement en faire qu’une analyse superficielle. Sans atteindre,
peut-être, l’imprévisibilité logique du chaos déterministe, la variabilité de
nos impressions et de nos réactions reflète la multiplicité des causes et des
influences, et la complexité des relations, avec des résultats qui peuvent
changer selon le contexte et donner un impression d’inconsistance.
Pourtant, si les circonstances nous confrontent à nos faiblesses et
exposent nos échecs, cela n’altère pas fondamentalement notre être : cela
« n’en fait pas du « toc », de la pacotille sans valeur ni
intérêt.
Reste à savoir pourquoi nous sommes toujours placés dans des situations
telles que nous ne pouvons qu’échouer… si tant est qu’il y ait un
« pourquoi » ?
Léonard Cohen pose la question, mais sa formulation porte en elle une réponse, que
l’on peut interpréter en termes religieux ou théologiques, ou laisser en
suspens si l’on se méfie des réponses toutes faites et des « logiques
aspirantes » qui prétendent donner un sens à la vie en nous dictant une
conduite et nous dispensant de réfléchir.
Comme toujours avec LC, chacun reste libre de choisir à quel niveau il
souhaite interpréter ce texte, selon son humeur et selon sa croyance, pour
ébaucher une réponse : Dieu, le destin, l’amour, ou tout simplement la
vie…
Libres aussi de le suivre ou non sur le chemin d’une sagesse bouddhiste, et
de refermer le « livre du désir ».
Mais son message peut signifier aussi que, quelles que soient les
motivations, les causes et les raisons complexes qui peuvent susciter ou
expliquer nos actions, quelles que soient même nos intentions, cela n’en fait
pas du « toc » (ou de la boue, pour garder la rime) si ces actions soutiennent et renforcent la vie et
l’amour.
Ça n’en fait pas du
toc
J’ai combattu la
bouteille
Fallait-il que je
sois saoul
Mais mettre mon
diamant au clou
Ça n’en fait pas d' la boue
J’ignore comment je
le sais
Mais j’en ai reçu
pardon
Je doute de mes
sentiments
Les sentiments
viennent et vont
Pourquoi m’as-tu
appelé
Pourquoi te soucier
De mon cœur ce soir
Tu m’élèves en
grâce, et
En ce lieu viens me
placer
D’où je dois choir
Trop tard pour
prendre un autre verre
Les lumières
cessent de luire
J’écout’rai le
chant des ténèbres
Je sais c’ que ça
veut dire
J’ai tenté à ma
manière
De t’aimer sans
réussir
J’ai donc clos le
livre du désir
Et me contente
d’obéir
Pourquoi m’as-tu
appelé
Pourquoi te soucier
De mon cœur ce soir
Tu m’élèves en grâce,
et
En ce lieu viens me
placer
D’où je dois choir
J’ai combattu la
bouteille
Fallait-il que je
sois saoul
Mais mettre mon
diamant au clou
Ça n’en fait pas d’
la boue
(Traduction –
Adaptation : Polyphrène)