dimanche 26 septembre 2010

Undertow

I set out one night
When the tide was low
There were signs in the sky
But I did not know
I’d be caught in the grip
Of the undertow
[…]




Sur les longues plages des Landes, la mer s’approche au pied des dunes, puis s’enfuit au loin, découvrant d’immenses étendues de sable semées de larges bassin, ou baïnes, qui tentent de retenir l’eau, et parcourues de longues stries par lesquelles elle s’enfuit. Lorsque la marée monte ou descend, l’ouverture des baïnes vers la pleine mer est le siège de courants violents qui peuvent entraîner les baigneurs au loin. Il est alors recommandé de ne pas lutter contre le courant, mais de se laisser emporter tout en tentant d’attirer l’attention d’éventuels sauveteurs.
Léonard Cohen évoque ce courant irrésistible de la vie qui nous entraîne au loin, puis nous rejette en un lieu délaissé, où la mer elle-même « déteste aller ». Le froid de la solitude nous envahit alors, et notre cœur vide attend l’aumône d’un sentiment.
Récemment, à Marseille (cf. « Le Canard Enchaîné » du mercredi 22 septembre 2010, page 5 : « Où est ma femme gitane ? »), raconte que le public s’est enflammé lorsque Léonard Cohen, devant plus de 4000 personnes, a entonné sa chanson « Where is my Gypsy Wife tonight », et qu’une « ovation est montée de la foule » à chacune des trois fois où Léonard Cohen a prononcé le mot « Gypsy ». Une immense clameur s’est fait entendre lors qu’il a chanté les derniers mots « But you who come between them will be judged ». Cette réaction spontanée à l’ignoble « Chasse aux Roms » qui fait actuellement la honte de la France est frappante et rassurante. Elle apporte aussi un éclairage nouveau sur les mots qu’utilise Léonard Cohen pour les derniers vers de « Undertow », lorsqu’il évoque son cœur en forme de sébile de mendiant (« my heart the shape of a begging bowl »). On voit alors apparaître l’image familière de ces femmes Roms, accroupies sous le proche d’un édifice public, un enfant dans les bras (« With a child in my arms ») et une sébile posée à terre, attendant humblement l’aumône d’un passant.
Ce n’est pas, sans doute, ce qu’avait en tête Léonard Cohen en écrivant cette chanson, mais l’événement rapporté par le Canard Enchaîné montre que la force évocatrice de ses chansons peut en faire des armes politiques. Le Canard Enchaîné cite, du reste, en exemple, « Le Partisan » dont l’interprétation de Léonard Cohen a manifestement bouleversé la salle.
Le public de Léonard Cohen est décidément bien sympathique !


Courant de Marée

Sortant un soir, quand
La mer s’ retirait
Des signes au ciel montraient,
Mais je les ignorais,
Qu’au loin m’emporterait
Un courant d’ marée

Échoué sur une plage
Que la mer met au ban
Dans mon âme un grand froid
Dans mes bras un enfant
Et mon cœur vide comme
Sébile de mendiant

(Traduction - Adaptation : Polyphrène)

2 commentaires:

  1. Cher Polyphrène !

    Merci, vraiment merci de porter attention à cette chanson injustement méconnue de l'album Dear Heather !
    Je trouve ta traduction du deuxième couplet parfaite et fidèle. Elle met des mots simples et fluides sur le sentiment d'hébétement stupéfait qui succède parfois à la terreur.
    Comme d'habitude je constate que j'exagérais, influence des rivages granitiques et austères que je fréquente habituellement, sans doute. L'eau y est glacée et agitée, les roches dangereuses…
    L'image mentale que j'avais construite était composée d'une nuit noire, marée basse, remous et courants contraire, et … imprudence. Les signes étaient là mais je les ignorais…
    Je laisse de coté l'actualité pour voir plus généralement ce qui se passe lorsqu'on n'est pas à l'écoute de ses intuitions, de ses pensées, fussent-elles contraires à l'image que nous avons de nous même. L'idée d'être emportée par le tourbillon des conséquences est terrifiante. Pour autant cette chanson reste douce, aucunement menaçante. N'est-ce pas la condition du cœur, de se vider pour se remplir ? si bien qu'à peine terminée, la chanson reprend en son début.

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  2. Bonjour,
    Merci pour ce commentaire très contributif, qui me permet de voir au delà de mes propres interprétations et projections. Je n'avais pas vraiment perçu, dans les mots de Léonard Cohen, de terreur ou d'horreur, mais une sorte de résignation, avec une façon de dire, comme souvent dans ses chansons, "c'est de ma faute - je n'ai pas vu, pas entendu, les avertissements - je ne suis pas capable de...". Presque un fatalisme résigné.
    J'aime beaucoup ton image du cœur qui se vide pour se remplir à nouveau. Physiologiquement parlant, cela a du sens. Psychologiquement, je perçois aussi cette réalité, sous différentes formes : non pas qu'il faille évacuer tout sentiment pour pouvoir ressentir à nouveau, mais qu'il faille éprouver (dans tous les sens du terme) jusqu'au bout ses sentiments pour pouvoir les régénérer.
    Voilà, encore une fois, l'illustration de la polyvalence (sinon l'ambivalence) des textes de Léonard Cohen. Chacun y trouve le reflet de son âme,tout en voyant de l'autre côté du miroir.

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