Combien de vies ont ainsi basculé dans ce désert où la solitude prend le
goût de l’alcool ? D’un premier espoir à un premier amour, d’un premier
échec à une première blessure, puis une éternité de souffrance. Et la nuit,
froide et vide, descend sur ces cœurs esseulés, envahit ces âmes meurtries et
impose un silence coupable.
Car la souffrance est une pénitence pour ces femmes et ces hommes qui
restent sur le bord de la route du bonheur, persuadés d’être porteurs d’une
tare, d’un vice, d’une difformité du corps ou du cœur justifiant leur échec. La
littérature en a fait des destins romantiques, mais leur quotidien est
terriblement prosaïque, cheminant sur un étroit sentier, tout au fond du profond
canyon des sentiments : si profond que le soleil ne l’atteint pas, si
étroit que le ciel n’est qu’un toit, si encaissé qu’on ne peut en sortir et
grimper vers les cimes pour apercevoir l’horizon. Tout ce qui pourrait
réveiller la souffrance et faire entrevoir le bonheur perdu est soigneusement
évité. De petites obsessions, de petites ou grandes addictions, de petites
distractions, et de petits plaisirs sans saveur, occupent les temps démesurés
de solitude. Qui, autour d’eux, pourrait imaginer ce que représente un rire
partagé, un regard vraiment échangé, un mot véritablement personnel ?
Au fond de ces cœurs engourdis par le froid brûle encore, doucement,
discrètement, le désir d’aimer. Un espoir fou fait parfois irruption dans les
rêves, mais aucune fée, aucun magicien, aucun rédempteur ne vient à leur
secours, et la tristesse accompagne l’angoisse du néant sur le chemin qui
descend, inexorablement.
Gordon Lightfoot chante avec une grande émotion ce drame de la solitude, et
joint sa voix à celles des Beatles dans « The Lonely People », Paul Simon
dans « I Am A Rock », Ralph McTell dans « Streets of London »,
ou David McWilliams dans « The Days of Pearly Spencer », parmi tant d’autres.
Retour de la Forêt
Les néons brillaient, mais le vent froid agitait les sapins
L’eau coulait dans ses chaussures, et la neige chassait le crachin
Tout espoir éteint, les yeux rouges et bientôt à court de vin
Le vieil homme est rentré
De la forêt
Ses larmes tombant sur le trottoir, il titubait dans la nuit
Quelques uns le dévisageaient, nul ne s’adressait à lui
Car un hall était son château, la bouteille son seul ami
Et le vieil homme revenait
De la forêt
Sous un vieil escalier crasseux, au fond d’une sombre impasse
Se couvrant de son manteau, s’étendit sur sa paillasse
Cherchant, pour la millième fois, les raisons de sa disgrâce
Comme un fou égaré
Dans la forêt
Et, tandis qu’il dormait là, lui vint une vision
Celle d’un visage adoré, penché sur ses haillons
Et qui, en ce lointain printemps, l’aimait avec passion
Quand les arbres fleurissaient
Dans la forêt
Elle toucha ses doigts jaunis et appela son nom
Il entendit des cris de joie d’enfants, et leurs chansons
Dans une ville perdue, devant une vieille maison
Quand la rivière descendait
De la forêt
Survolant les rues étroites et encaissées, l’avion rugit
Les escrocs volent et la vie continue dans la ville sans répit
Mais l’aube ne viendra plus pour le vieux soldat mort dans l’oubli
Car le vieil homme est rentré
De la forêt
(Traduction – Adaptation : Polyphrène)
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