J'ai longtemps hésité à traduire cette chanson, tant elle me paraissait terrible, et je craignais qu'il y figure une certaine complaisance, exploitant la fascination de la "populace" pour la souffrance (des autres). Entre le mauvais goût et le sadisme de groupe, le risque est grand, en effet, d'attiser la haine est montrant en spectacle la barbarie drapée des oripeaux de la justice.
Récemment, un "petit scandale" a défrayé la chronique en France, lorsque des forains ont voulu présenter une attraction importée des U.S.A. montrant, avec un réalisme inouï, un condamné vivant ses derniers instants sur la chaise électrique.
Pourtant, j'ai découvert cette chanson de Shel Silverstein (très connu pour ses ouvrages destinés aux enfants) dans le répertoire de Johnny Cash, et appris qu'il l'avait chantée à la prison de Folsom. J'ai peine à imaginer l'état d'esprit des condamnés entendant le décompte fatidique des minutes restant à vivre. Les prisonniers, paraît-il, ont poussé des hourras lorsque Johnny a chanté les vers évoquant l'attitude du shérif ("Je viens te voir mourir") et la réponse du condamné ("Je lui ai craché au visage").
On peut en être choqué, mais cette attitude n'est que la réponse logique à celle des bourreaux (et j'appelle bourreaux ceux qui approuvent ou laissent faire l'exécution, pas seulement ceux qui la réalisent) : abaisser, mépriser, provoquer la haine pour pouvoir haïr en retour et justifier ainsi le crime qu'est l'exécution capitale.
Le thème de la prison, de la condamnation à mort, de l'exécution, est très présent dans le répertoire de Johnny Cash, que ce soit dans ses propres chansons ou celles qu'il emprunte à d'autres auteurs ("The Mercy Seat" en est un exemple majeur), et on sent bien qu'il se met à la place du condamné. Dans ce rôle, Johnny Cash ne se dérobe pas à ses responsabilités et plaide généralement coupable, mais il montre l'inhumanité de la peine et l'hypocrisie de ceux qui la prononcent, mieux que ne peuvent le faire tous les discours.
J'arrête donc ici le mien, et propose ma tentative de traduction :
25 Minutes à Vivre
Bon, devant ma cellule, ils dressent un gibet.
Plus que vingt-cinq minutes à vivre.
Tout’ la ville attend pour m’entendre hurler.
Plus que vingt-quatre minutes à vivre.
J’ai mangé des pois pour mon dernier repas.
Plus que vingt-trois minutes à vivre.
Personne ne me demande si ça va.
Plus que vingt-deux minutes à vivre.
J’ai écrit au gouverneur et aux autres imbéciles,
Avec vingt-et-une minutes à vivre.
Et j’ai fait mander le maire, mais il dîne en ville.
Plus que vingt minutes à vivre.
Et puis le shérif m’a dit "Je viens te voir mourir".
J’ai dix-neuf minutes à vivre.
J’ai craché à sa face et fait semblant de rire.
J’ai dix-huit minutes à vivre.
Maintenant le curé voudrait sauver mon âme,
Avec treize minutes à vivre.
J’ai froid dans le dos quand il parle de flammes,
Plus que douze minutes à vivre.
Ils testent la trappe, ça me glace le sang.
Plus que onze minutes à vivre.
La trappe et la corde sont prêts et menaçants.
Plus que dix minutes à vivre.
Et moi j’attends la grâce qui me libèrerait.
Plus que neuf minutes à vivre.
Mais, oubliez-moi, tout ça c’est pour de vrai.
Plus que huit minutes à vivre.
La corde autour du cou et la trappe sous les pieds.
Plus que cinq minutes à vivre.
Toujours personne pour me délier ?
Avec quatre minutes à vivre.
Je peux voir les montagnes, je peux voir le jour.
Avec trois minutes à vivre.
Et c’est bien trop beau pour un homme qui n’veut pas crever.
Et deux minutes à vivre.
J’entends les corbeaux, je peux voir les vautours.
Plus qu’une minute à vivre.
Maintenant je bascule et m’en vais... ais ais ais ais…
(Traduction – Adaptation : Polyphrène)
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